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MANŒUVRE DE SELLICK : LA CONTROVERSE
Points essentiels
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La manœuvre de Sellick consiste en une compression antéro-postérieure de
l’anneau cricoïdien comprimant le haut œsophage contre la paroi antérieure
du rachis cervical.
■
Cette manœuvre empêcherait le reflux du contenu gastrique dans la trachée
lors d’une anesthésie et a été proposé par Sellick en 1961.
■
Il n’existe aucune étude randomisée prouvant son efficacité et celle-ci est
probablement très variable.
■
De nos jours, le risque d’inhalation est fortement réduit lors d’une induction
en séquence rapide, surtout en l’absence de facteur de risque d’inhalation.
■
Il est prouvé que la manœuvre de Sellick est susceptible de diminuer la vision
glottique et de majorer le taux d’intubation difficile.
■
La pression cricoïdienne doit donc être décidée en fonction d’une balance
bénéfice/risque entre le risque de désaturation et le risque d’inhalation.
1. Introduction
La manœuvre de Sellick consiste en une compression antéro-postérieur de
l’anneau cricoïdien. Le haut œsophage se retrouve alors écrasé entre la face posté-
rieure de l’anneau cricoïdien et la paroi antérieure du rachis cervical. Cette
manœuvre empêcherait le reflux du contenu gastrique dans la trachée lors d’une
Chapitre
40
Manœuvre de Sellick :
la controverse
F. A
DNET
Correspondance : Frédéric Adnet – Urgences – Samu 93 – Hôpital Avicenne – 93000 Bobigny, France.
2
■
LES IDÉES REÇUES EN MÉDECINE D’URGENCE
induction en séquence rapide. Elle a été proposé en 1961 par Sellick en mettant
en évidence l’interruption du produit de contraste lors de cette manœuvre au
cours d’un transit baryté chez un cadavre
(1)
. Cette manœuvre est devenue la
« pierre angulaire » de l’induction en séquence rapide pour permettre de dimi-
nuer la fréquence des inhalations bronchiques. Elle est devenu une manœuvre
largement acceptée comme un standard de la pratique d’une anesthésie d’ur-
gence. Bien que cette manœuvre est d’apparence simple, il est apparu quelques
controverses à propos de sa sécurité et de son efficacité
(2)
. Clairement, deux
opinions contradictoires ont émergé entre les praticiens qui considèrent que cela
doit rester une pratique courante et ceux qui demandent une véritable évaluation
en terme de bénéfices/risques. La pression cricoïdienne peut en effet diminuer la
visualisation de l’orifice glottique lors d’une laryngoscopie directe et entraÎner une
intubation difficile. De plus, aucune preuve avec une méthodologie forte (essai
randomisé) n’a pu confirmer son efficacité en terme de prévention de l’inhalation
bronchique
(3)
.
2. Morbidité de la manœuvre de Sellick
2.1. Régurgitation malgré la pression cricoïdienne
Quelques régurgitations, parfois avec une issue fatale, ont été décrites malgré
l’application de la manœuvre de Sellick
(4)
. Bien qu’il soit impossible d’affirmer
que ces accidents soient dus à une mauvaise application de la manœuvre de
Sellick ou à la manœuvre elle-même, l’efficacité de cette manœuvre a ainsi été
remise en question
(5)
.
2.2. Diminution de la visualisation glottique
L’application d’une pression cricoïdienne semble interférer avec la visualisation de
la glotte en diminuant le degré de visualisation. Dans un travail récent, 22 intuba-
tions n’ont pu être réalisées qu’après retrait de la manœuvre de Sellick. Ce retrait
améliorait la visualisation de la glotte dans 50 % des cas
(6)
. Cependant, dans ce
travail, deux retraits de la pression cricoïdienne furent associés à une régurgitation
qui n’existait pas lorsque la manœuvre était appliquée. D’autres études retrou-
vaient des résultats inverses avec en particulier un travail randomisé qui ne mettait
pas en évidence de différences dans le taux de succès de l’intubation ou le degré
de visualisation de la glotte
(7)
.
2.3. Prévention de l’inhalation bronchique
Brimacombe et coll., dans une métaanalyse consacrée à la manœuvre de Sellick,
ne trouvèrent aucune publication de haut niveau de preuves permettant de juger
de l’effet de la manœuvre de Sellick dans la prévention de l’inhalation. Par contre,
quelques papiers décrivaient des inhalations acides malgré une application de la
manœuvre de Sellick
(8)
. Dans une étude sur 22 volontaires sains par imagerie
IRM trouvèrent que l’œsophage était déplacé latéralement dans 90 % des cas et
3
MANŒUVRE DE SELLICK : LA CONTROVERSE
qu’il existait une compression des voies aériennes avec une fréquence de 81 %
(9)
. Moynihan et coll. trouvèrent que l’application d’une pression cricoïdienne
empêchait l’inflation d’air dans l’estomac jusqu’à une pression de 40 cm H
2
O
pendant la ventilation au masque
(10)
.
3. Efficacité de la manœuvre de Sellick
Sellick et d’autres auteurs, dans des travaux expérimentaux, trouvèrent que la
pression cricoïdienne empêchait le reflux de sérum physiologique dans l’œso-
phage jusqu’à une pression de l’ordre de 50 à 100 cm H
2
O
(11,12)
.
4. Discussion
Il n’y a pas de preuve formelle de l’efficacité clinique de la manœuvre de Sellick.
La littérature reste tout aussi pauvre quant à la morbidité de cette manœuvre
(13)
.
D’autre part, le risque d’inhalation per-intubation n’est plus comparable aujour-
d’hui avec la fréquence observée dans les années 1960. L’efficacité de la compres-
sion du cartilage cricoïde a probablement de multiples déterminants : force de
pression, position de la tête, relation anatomique entre larynx, œsophage et rachis
cervical, techniques de ventilation. Toutes ces variables sont difficilement contrô-
lables et reproductibles, laissant peu de chance à un essai contrôlé de conclure
rigoureusement. Il est probable que le profil de risque du patient peut déterminer
le choix d’appliquer ou non cette manœuvre avec un éventail allant du patient à
haut risque d’inhalation et avec un faible risque d’intubation/ventilation difficile
(par exemple un patient en occlusion sans facteurs d’intubation difficile) et, à
l’autre bout de l éventail, le patient à haut risque de désaturation et faible risque
d’inhalation (patient en détresse respiratoire isolée).
Cette manœuvre apparaît donc comme un geste qui devient non plus obligatoire
mais qui s’intègre dans un choix dépendant de facteurs liés à l’opérateur et aux
patients. En tout état de cause, la pression cricoïdienne doit être levée en cas de
difficulté à la première laryngoscopie.
Références
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