part entière, puisque les différentes branches de la linguistique se
doivent de tenir compte des phénomènes pragmatiques, que l’on ne
saurait considérer isolément. Par ailleurs, il signale que toute étude
sérieuse des phénomènes de parole exige d’avoir procédé au préalable
à une analyse structurale en profondeur de la langue. Ce chapitre
comprend une présentation de la théorie des actes de parole (locutoires,
illocutoires et perlocutoires) et examine trois types d’entités lexicales qui
introduisent des interférences pragmatiques (référence à la situation
de parole) : les verbes performatifs, les lexies à contenu présuppositionnel
et les clichés linguistiques, qui incluent les pragmatèmes (clichés associés à
des contextes d’énonciation précis).
Le chapitre 10 (Lexicologie descriptive) est consacré, pour
l’essentiel, au domaine de la lexicographie. D’abord, l’auteur précise la
place des dictionnaires dans la lexicologie descriptive, ce qui l’amène
à proposer une définition élargie de lexicographie (terme qu’il a évité
sciemment dans le titre du chapitre) comme activité ou domaine
d’étude qui vise la construction de représentations (ou modèles) des
lexiques. La lexicographie ne se bornerait donc pas à l’activité pratique
de rédaction des dictionnaires, mais constituerait le volet descriptif de
la lexicologie théorique. Elle serait à distinguer de la métalexicographie
(ou étude théorique des dictionnaires). Les dictionnaires, aussi bien
Xavier Blanco Lexicologie et sémantique lexicale. Notions fondamentales (A. Polguère)
188
les dictionnaires grand public que les dictionnaires théoriques sont des
modèles du lexique d’une langue qui offrent une description de
chaque lexie en suivant un patron plus ou moins rigide. Si les premiers
(qu’ils soient monolingues, bilingues, d’apprentissage, etc.) sont avant tout
des produits destinés à un marché, les seconds constituent des outils
de recherche à caractère expérimental. La structure des dictionnaires
comporte trois parties : la macrostructure (souvent formée par articles
de vocable, qui regroupent, donc, plusieurs lexies), la microstructure
(ensemble d’informations que le dictionnaire apporte sur la
macrostructure retenue, p. ex. : sens de la lexie vedette, connexions
paradigmatiques de ladite lexie, combinatoire restreinte) et la
médiostructure (ensemble de références croisées). Le chapitre se termine
par une plaidoirie en faveur d’une lexicographie des réseaux lexicaux.
En effet, après avoir montré tout au long de son ouvrage que le
lexique a une nature essentiellement relationnelle, l’auteur annonce
une nouvelle lexicographie qui ne consistera plus à rédiger des
dictionnaires, mais à « tisser » des réseaux lexicaux. D’une part, le
remplacement du texte imprimé par la mémoire informatique comme
support de l’information et, d’autre part, le traitement automatique de
réseaux de très grande taille moyennant des méthodes de calcul
fondées sur la théorie des graphes rendent possible une description
multidimensionnelle. Cette description rendra compte du lexique non
plus comme une taxinomie, mais comme un « réseau social » de lexies
dont la structure ne reposera pas sur un principe de classification,
mais sur un ensemble de lois qu’il faudra mettre progressivement en
évidence.
Une brève conclusion vient couronner le livre en proposant
quelques références bibliographiques qui permettraient au lecteur
intéressé d’approfondir ses connaissances en Lexicologie Explicative
et Combinatoire.
***
Alain Polguère réussit avec ce livre à présenter un système
notionnel où tout se tient, mais qui reste, en même temps,
relativement indépendant d’une théorie linguistique donnée, même si
la Lexicologie Explicative et Combinatoire sous-tend de nombreux
aspects du système proposé. L’auteur a su habilement éviter l’écueil
Xavier Blanco Lexicologie et sémantique lexicale. Notions fondamentales (A. Polguère)
189
de transformer son ouvrage en une présentation de différentes
théories, sans pour autant renoncer à offrir au lecteur de nombreux
et bien choisis points de repère théoriques sous forme de
recommandations bibliographiques, de commentaires pénétrants sur
les apports de certains linguistes de prestige, voire de critiques à
certaines approches qui ne se sont pas révélées fructueuses. Le tout
en faisant toujours ressortir les aspects de ces contributions les plus
pertinents pour l’illustration des notions présentées et pour la bonne
compréhension des idées avancées. Dans cet aspect, comme dans
bien d’autres, le texte offre plus que ce qu’il promet, car on y découvre
en filigrane une petite, mais très suggestive, histoire de la discipline.
Une observation semblable pourrait être avancée pour ce qui
est du choix de la terminologie. L’auteur prône la nécessité de
renoncer, dans un premier moment, à la discussion terminologique,
afin de se concentrer sur le maniement d’un système notionnel
cohérent, quitte à le relativiser ensuite en le confrontant à d’autres
d’approches différentes. Et cependant, son texte est truffé de brefs
commentaires terminologiques où il justifie ses choix (qui impliquent
parfois de sacrifier le terme préféré à celui qui est le plus courant). Il
discute souvent le caractère plus ou moins approprié de certains
termes et n’hésite même pas à présenter un tableau récapitulatif
consacré à différentes options terminologiques (p. 292), de telle façon
que le lecteur a l’impression de voir se constituer sous ses yeux le
champ lexical du domaine. Une telle rigueur et minutie sont loin d’être
la règle dans une discipline relevant des sciences humaines qui n’a pas
connu, en général, le degré de formalisation que l’on peut rencontrer
dans de domaines plus proches aux sciences dites dures.
On sent bien, par ailleurs, que la profonde connaissance que
l’auteur a du domaine de la lexicologie n’est pas uniquement de nature
théorique, elle prend appui également sur sa très vaste expérience de
description et modélisation du lexique. L’impression de relative
simplicité des notions présentées, qui sont pourtant dans bien des cas
d’une grande complexité et qui posent de sérieux problèmes de
formulation, trahit en fait un grand effort de rédaction et n’a pu être
accompli qu’au prix de longues années de réflexion et de maturation
d’un texte dont la première édition remonte à 2003 mais qui, sous le
Xavier Blanco Lexicologie et sémantique lexicale. Notions fondamentales (A. Polguère)
190
titre Notions de base en lexicologie, a connu des versions antérieures, sous
forme de matériaux de cours, qui ont servi à la formation de
nombreuses promotions d’étudiants dans trois continents.
L’auteur allie la présentation des notions très souvent évoquées
dans des ouvrages en linguistique avec beaucoup d’autres non moins
importantes, mais qui sont rarement mises en avance dans les
introductions à la lexicologie (comme collocation, fonction lexicale,
dérivation sémantique, perspective d’encodage, phraséologie
morphologique, notion de vague, intégration de la composante
présuppositionnelle des sens lexicaux dans la définition
lexicographique, etc.). Il a cependant su s’en tenir à ce qui est essentiel
pour le type de public auquel est destiné l’ouvrage. Tout au long du
texte, on sent bien pourtant que cela lui a coûté un effort et qu’il a dû
ronger son frein à plus d’une reprise pour ne pas se lancer dans des
monographies complémentaires. Il pourrait très bien écrire, et on le
sent tout prêt à le faire, un ouvrage rien que sur les relations lexicales
modélisées moyennant les fonctions lexicales, ou bien sur la structure
d’un réseau lexical, ou encore sur la définition lexicale elle-même. On
le sent également tenté d’approfondir sur la question de la
modélisation de la structure communicative des énoncés. Ce livre en
contient donc plusieurs autres en ébauche.
On ne saurait conclure ce compte-rendu sans mettre en relief
l’extraordinaire précision des très nombreux exemples linguistiques
qui illustrent les notions présentées (en général en français, mais
éventuellement aussi dans d’autres langues comme l’anglais ou le
chinois mandarin quand cela permet de bien mettre en relief un
phénomène donné). Or, on sait bien que l’exemple en linguistique est
une petite machine de précision au maniement délicat, car toute petite
déviation risque d’introduire un bruit indésiré dans la démonstration.
Nous terminons ce compte-rendu en recommandant de façon
enthousiaste la lecture attentive et minutieuse de ce livre et en nous
excusant de la longueur de ce texte, qui était cependant en grande
partie inévitable à cause de l’extrême richesse de l’ouvrage présenté.
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