Jean racine introduction I chapitre. Dramaturge français


Un grand représentant du classicisme



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999999999Jean Racine

1.2. Un grand représentant du classicisme
J’ai ces extraits écrits de sa main. Ses facultés, qui étaient fort médiocres, ne lui permettant pas d’acheter les belles éditions des auteurs grecs, il les lisait dans les éditions faites à Bâle sans traduction latine. J’ai hérité de son Platon et de son Plutarque, dont les marges, chargées de ses apostilles, sont la preuve de l’attention avec laquelle il les lisait ; et ces mêmes livres font connaître l’extrême attention qu’on avait à Port-Royal pour la pureté des mœurs, puisque dans ces éditions même, quoique toutes grecques, les endroits un peu libres, ou pour mieux dire trop naïfs, qui se trouvent dans les narrations de Plutarque, historien d’ailleurs si grave, sont effacés avec un grand soin. On ne confiait pas à un jeune homme un livre tout grec sans précaution.9 M. le Maistre, qui trouva dans mon père une grande vivacité d’esprit avec une étonnante facilité pour apprendre, voulut conduire ses études, dans l’intention de le rendre capable d’être un jour avocat : il le prit dans sa chambre, et avait tant de tendresse pour lui qu’il ne l’appelait que son fils, comme on verra par ce billet, dont l’adresse est, Au petit Racine, et que je rapporte, quoique fort simple, à cause de sa simplicité même ; M. le Maistre l’écrivit de Bourg-Fontaine, où il avait été obligé de se retirer : “Mon fils, je vous prie de m’envoyer au plus tôt l’Apologie des SS. PP. qui est à moi, et qui est de la première impression. Elle est reliée en veau marbré, in-4. J’ai reçu les cinq volumes de mes Conciles, que vous aviez fort bien empaquetés. Je vous en remercie. Mandez-moi si tous mes livres sont bien arrangés sur des tablettes, et si mes onze volumes de saint Jean Chrysostôme y sont, et voyez- les de temps en temps pour les nettoyer. Il faudrait mettre de l’eau dans des écuelles de terre où ils sont, afin que les souris ne les rongent pas. Faites mes ecommandations à votre bonne tante, et suivez bien ses conseils en tout. La jeunesse doit toujours se laisser conduire, et tâcher de ne point s’émanciper. Peut-être que Dieu nous fera revenir où vous êtes. Cependant il faut tâcher de profiter de cet événement, et faire en sorte qu’il nous serve à nous détacher du monde, qui nous paraît si ennemi de la piété. Bonjour, mon cher fils ; aimez toujours votre papa

9 Mauron Charles, L’Inconscient dans la vie et l’œuvre de Jean Racine, Paris, Gallimard, 1956
comme il vous aime ; écrivez-moi de temps en temps. Envoyez-moi aussi mon Tacite in-folio.”10 M. le Maistre ne fut pas longtemps absent, il eut la permission de revenir ; mais en arrivant il tomba dans la maladie dont il mourut ; et après sa mort,
M. Hamon prit soin des études de mon père. Entre les connaissances qu’il fit à Port- Royal, je ne dois point oublier celle de M. le duc de Chevreuse, qui a conservé toujours pour lui une amitié très-vive, et qui, par les soins assidus qu’il lui rendit dans sa dernière maladie, a bien vérifié ce que dit Quintilien, que les amitiés qui commencent dans l’enfance et que les études font naître, ne finissent qu’avec la vie. On appliquait mon père, quoique très-jeune, à des études fort sérieuses. Il traduisit le commencement du Banquet de Platon, fit des extraits tout grecs de quelques traités de saint Basile, et quelques remarques sur Pindare et sur Homère. Au milieu de ces occupations, son génie l’entraînait tout entier du côté de la poésie, et son plus grand plaisir était de s’aller enfoncer dans les bois de l’abbaye avec Sophocle et Euripide, qu’il savait presque par cœur. Il avait une mémoire surprenante. Il trouva par hasard le roman grec des Amours de Théagène et Chariclée. Il le dévorait, lorsque le sacristain laude Lancelot, qui le surprit dans cette lecture, lui arracha le livre et le jeta au feu. Il trouva le moyen d’en avoir un autre exemplaire qui eut le même sort, ce qui l’engagea à en acheter un troisième ; et pour n’en plus craindre la proscription, il l’apprit par cœur, et le porta au sacristain, en lui disant : Vous pouvez brûler encore celui-ci comme les11 Il fit connaître à Port-Royal sa passion plutôt que son talent pour les vers, par sept odes qu’il composa sur les beautés champêtres de sa solitude, sur les bâtiments de ce monastère, sur le paysage, les prairies, les bois, l’étang, etc.. Le hasard m’a fait trouver ces odes, qui n’ont rien d’intéressant, même pour les personnes curieuses de tout ce qui est sorti de la plume des écrivains devenus fameux : elles font seulement voir qu’on ne doit pas juger du talent d’un jeune homme par ses premiers ouvrages. Ceux qui lurent alors ces odes ne purent pas soupçonner que l’auteur deviendrait dans peu l’auteur d’Andromaque.

10 Eigeldinger Marc, La Mythologie solaire dans l’œuvre de Racine, Genève, Droz, 1969.
11 Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, Paris, Honoré Champion, 1999
âge, plus heureux dans la versification latine que dans la française ; il composa quelques pièces en vers latins, qui sont pleines de feu et d’harmonie. Je ne rapporterai pas une élégie sur la mort d’un gros chien qui gardait la cour de Port- Royal, à la fin de laquelle il promet par ses vers l’immortalité à ce chien, qu’il nomme Rabotin. En parlant des ouvrages de sa première jeunesse, qu’on peut appeler son enfance, je ne dois point oublier sa traduction des hymnes des féries du Bréviaire romain. Boileau disait qu’il l’avait faite à Port-Royal, et que M. de Sacy, qui avait traduit celles des dimanches et de toutes les fêtes pour les Heures de Port- Royal, en fut jaloux ; et voulant le détourner de faire des vers, lui représenta que la poésie n’était point son talent. Ce que disait Boileau demande une explication. Les hymnes des féries imprimées dans le Bréviaire romain, traduit par M. le Tourneux, ne sont pas certainement l’ouvrage d’un jeune homme ; et celui qui faisait les odes sur les bois, l’étang et le paysage de Port-Royal, n’était pas encore capable de faire de pareils vers. Je ne doute pas cependant qu’il ne soit auteur de la traduction de ces hymnes ; mais il faut qu’il les ait traduites dans un âge avancé, ou qu’il les ait depuis retouchées avec tant de soin, qu’il en ait fait un nouvel ouvrage. On lit, en effet, dans les Hommes illustres de M. Perrault, que longtemps après les avoir composées, il leur donna la dernière perfection. La traduction du Bréviaire romain fut condamnée par l’archevêque de Paris, pour des raisons qui n’avaient aucun rapport à la raduction de ces hymnes. Cette condamnation donna lieu dans la suite à un mot que rapportent plusieurs personnes, et que je ne garantis pas. Le roi, dit-on, exhortait mon père à faire quelques vers de piété : J’en ai voulu faire, répondit-il, on les a condamnés. Il ne fut que trois ans à Port-Royal; et ceux qui savent combien il était avancé dans les lettres grecques et latines n’en sont point étonnés, quand ils font réflexion qu’un génie aussi vif que le sien, animé par une grande passion pour l’étude, et conduit par d’excellents maîtres, marchait rapidement. Au sortir de Port-Royal, il vint à Paris, et fit sa logique au collége d’Harcourt, d’où il écrivit à un de ses amis: En 1660, le mariage du roi ouvrit à tous les poêtes une carrière dans laquelle ils signalèrent à l’envi leur zèle et leurs talents. Mon père, très-inconnu encore, entra comme les autres dans la carrière, et composa l’ode intitulée la Nymphe de la Seine. Il pria M. Vitart, son oncle, « le la porter à qui présidait alors sur tout le Parnasse, et par sa grande réputation poétique, qu’il n’avait point encore perdue, et par la confiance qu’avait en lui M. Colbert pour ce qui regardait les lettres. Chapelain découvrit un poète naissant dans cette ode, qu’il loue beaucoup, et parmi quelques fautes qu’il y remarqua, il releva la bévue du jeune homme, qui avait mis des Tritons dans la Seine. L’auteur, honoré des critiques de Chapelain, corrigea son ode ; et la nécessité de changer une stance pour réparer sa bévue, le mit en très-mauvaise humeur contre les Tritons, comme il parait par une de ses lettres. Chapelain le prit en amitié, lui offrit ses avis et ses services, et non content de les lui offrir, parla de lui et de son oncle si avantageusement à M. Colbert, que ce ministre lui envoya cent louis de la part du roi, et peu après le fit mettre sur l’état pour une pension de six cents livres en qualité d’homme de lettres. Les honneurs soutiennent les arts. Quel sujet d’émulation pour un jeune homme, très-inconnu au public et à la cour, de recevoir de la part du roi et de son ministre une bourse de cent louis ! et quelle gloire pour le ministre qui sait découvrir les talents qui ne commencent qu’à naître, et qui ne connait pas encore celui même qui les possède.12 Il composa en ce même temps un sonnet qui, quoique fort innocent, lui attira, aussi bien que son ode, de vives réprimandes de Port-Royal, où l’on craignait beaucoup pour lui sa passion démesurée pour les vers. On eût mieux aimé qu’il se fût appliqué à l’étude de la jurisprudence, pour se rendre capable d’être avocat, ou que du moins il eût voulu consentir à accepter quelqu’un de ces emplois qui, sans conduire à la fortune, procurent une aisance de la vie capable de consoler de l’ennui de cette espèce de travail, et de la dépendance plus ennuyeuse encore que le travail. Il ne voulait point entendre parler d’occupations contraires au génie des Muses ; il n’aimait que les vers, et craignait en même temps les réprimandes de Port- Royal. Cette crainte était cause qu’il n’osait montrer ses vers à personne, et qu’il écrivait à un ami : « Ne pouvant vous consulter, j’étais prêt à consulter, comme Malherbe, une vieille servante qui est chez nous, si je ne m’étais aperçu qu’elle est janséniste comme son maître, et qu’elle pourrait me déceler, ce qui serait ma ruine
entière, vu que je reçois tous les jours lettres sur lettres, ou plutôt excommunications sur excommunications à cause de mon triste sonne. Ce sonnet, dont il était sans doute très-content à cause de la chute, et à cause de ce vers. Fille du jour, gui nais devant ton père, prouve, ainsi que les strophes des odes que j’ai rapportées, qu’il aimait alors ces faux brillants, dont il a été depuis si grand ennemi. Les principes s du bon goût, qu’il avait pris dans la lecture des anciens et dans les leçons de Port-Royal, ne l’empêchaient pas, dans le feu de sa première jeunesse, de s’écarter de la nature, dont il s’écarte encore dans plusieurs vers de la Thébaïde ! Boileau sut l’y ramener. Il fut obligé d’aller passa— quelque temps à Chevreuse, où M. Vitart, intendant de cette maison, et chargé de faire faire quelques réparations au château, l’envoya, en lui donnant le soin de ces réparations. Il s’ennuya si fort de cette occupation et de ce séjour, qui lui parut une captivité, qu’il datait les lettres qu’il en écrivait, de Babylone. On en trouvera deux parmi celles de sa jeunesse. On songea enfin sérieusement à lui faire prendre un parti ; et l’espérance d’un bénéfice le fit résoudre à aller en Languedoc, où il était à la fin de 1661, comme il parait par la lettre qu’il écrivit à la Fontaine, et par celle-ci, datée du 17 janvier 1662, dans laquelle il écrivit à M. Vitart : « Je passe mon temps avec mon oncle, saint Thomas et Virgile. Je fais force extraits de théologie, et quelques-uns de poésie. Mon oncle a de bons desseins pour moi; il m’a fait babiller de noir depuis les pieds jusqu’à la tête : il espère me procurer quelque chose. Ce sera alors que je tâcherai de payer mes dettes. Je n’oublie point les obligations que je vous ai : j’en rougis en vous écrivant : Erubuit puer, salva res est. Mais cette sentence est bien fausse ; mes affaires n’en vont pas mieux. » Pour être au fait de cette lettre et de celles qu’on trouvera à la suite de ces Mémoires, il faut savoir qu’il avait été appelé en Languedoc par un oncle maternel, nommé le père Sconin, chanoine régulier de Sainte-Geneviève, homme fort estimé dans cette congrégation, dont il avait été général, et qui avait beaucoup d’esprit. Comme il était inquiet et remuant, dès que le temps de son généralat fut expiré, pour s’en défaire on l’envoya à Uzès, où l’on avait joint pour lui le prieuré de Saint-Maximin à un canonicat de la cathédrale : il était, outre cela, officiai et grand vicaire. Ce bon homme était tout disposé à résigner son bénéfice à son neveu ; mais il fallait être régulier ; et le neveu, qui aurait fort aimé le bénéfice, n’aimait point cette condition, à laquelle cependant la nécessité l’aurait fait consentir, si tous les obstacles qui survinrent ne lui eussent fait connaître qu’il n’était pas destiné à l’état ecclésiastique. Par complaisance pour son oncle, il étudiait la théologie; et en lisant saint Thomas, il lisait aussi l’Arioste, qu’il cite.souvent, avec tous les autres poètes, dans ses premières lettres adressées à un jeune abbé le Vasseur, qui n’avait pas plus de vocation que lui pour l’état ecclésiastique, dont il quitta l’habit dans la suite. Dans ces lettres, écrites enTexte en italique toute liberté, il rend compte à son ami de ses occupations et de ses sentiments, et ne fait paraître de passion que pour l’étude et les vers. Sa mauvaise humeur contre les habitants d’Uzès, qu’il pousse un peu trop loin, semble venir de ce qu’il est dans un pays où il craint d’oublier la langue française, qu’il avait une extrême envie de bien posséder. Je juge de l’étude particulière qu’il en faisait, par des remarques écrites de sa main sur celles de Vaugelas, sur la traduction de Quinte-Curce, et sur quelques traductions de d’Ablancourt. On voit encore par ces lettres qu’il fuyait toute compagnie, et surtout celle des femmes, aimant mieux la compagnie des poètes. Son goût pour la tragédie lui en fit commencer une dont le sujet était Théagène et Chariclée. Il avait conçu dans son enfance une passion extraordinaire pour Héliodore : il admirait son style et l’artifice merveilleux avec lequel sa fable est conduite. Il abandonna enfin celle tragédie, dont il n’a rien laissé, ne trouvant pas vraisemblablement que des aventures romanesques méritassent d’être mises sur la scène tragique. Il retourna à Euripide, et y prit le sujet de la Thébaïde, qu’il avança beaucoup, en même temps qu’il s’appliquait à la théologie.13 Quoique alors la plus petite chapelle lui parût une fortune, las enfin des incertitudes de son oncle, et des obstacles que faisait renaître continuellement un moine nommé dom Cosme, dont il se plaint beaucoup dans ses lettres, il revint à Paris, où il fit connaissance avec Molière, et acheva la Thébaïde. Il donna d’abord son ode intitulée la Renommée aux Muses, et la porta à la cour, où il fallait qu’il eût quelques protecteurs, puisqu’il dit dans une de ses lettres : « La Renommée a été

13 Viala Alain, Racine, la stratégie du caméléon, Paris, Seghers, 1990
assez heureuse ; M. le comte de Saint-Aignan la trouve fort belle : je ne l’ai pas trouvé au lever du roi, mais j’y ai trouvé Molière, à qui le roi a donné assez de louanges. J’en ai été bien aise pour lui, et il a été bien aise aussi que j’y fusse présent. » On peut juger par ces paroles que le jeune roi aimait déjà à voir les poètes à sa cour. Il fit payer à mon père une gratification de six cents livres, pour lui donner le moyen de continuer son application aux belles-lettres, comme il est dit dans l’ordre signé par la Thébaïde fut jouée la même année ; et comme je ne trouve rien qui m’apprenne de quelle manière elle fut reçue, je n’en dirai rien davantage. Je ne dois parler ici qu’historiquement de ses tragédies, et presque tout ce que j’en puis dire d’historique se trouve ailleurs 3[17]. Je laisse aux auteurs de l’Histoire du Théâtre-Français le soin de recueillir ces particularités, dont plusieurs sont peu curieuses, et toutes fort incertaines, parce qu’il n’en a rien raconté dans sa famille ; et je ne suis pas mieux instruit qu’un autre de ce temps de sa vie dont il ne parlait jamais.Le jeune Despréaux, qui n’avait que trois ans plus que lui, était connu de l’abbé le Vasseur, qui lui porta l’ode de la Renommée, sur laquelle Despréaux fit des remarques qu’il mit par écrit. Le poète critiqué trouva les remarques très- judicieuses, et eut une extrême envie de connaître son critique. L’ami commun lui en procura la connaissance, et forma les premiers nœuds de cette union si constante et si étroite, qu’il est comme impossible de faire la vie de l’un sans faire la vie de l’autre. J’ai déjà prévenu que je rapporterais de celle de Boileau les particularités que ses commentateurs n’apprennent point, ou n’apprennent qu’imparfaitement, parce qu’ils n’étaient pas mieux instruits. Il n’était point né à Paris, comme on l’a toujours écrit, mais à Crône, petit village près Villeneuve-Saint-Georges : son père y avait une maison, où il passait tout le temps des vacances du palais ; et ce fut le 1er novembre 1636 que ce onzième enfant y vint au monde. Pour le distinguer de ses frères, on le surnomma Despréaux, à cause d’un petit pré qui était au bout du jardin. Quelque temps après, une partie du village fut brûlée, et les registres de l’église ayant été consumés dans cet incendie, lorsque Boileau, dans le temps qu’on recherchait les usurpateurs de la noblesse, en vertu de la déclaration du 4 septembre 1696, fut injustement attaqué, il ne put, faute d’extrait baptistaire, prouver sa naissance que par le registre de son père. Il eut à souffrir dans son enfance l’opération de la taille, qui fut mal faite, et dont il lui resta pour toute sa vie une très-grande incommodité. On lui donna pour logement dans la maison paternelle une guérite au-dessus du grenier, et quelque temps après on l’en fit descendre, parce qu’on trouva le moyen de lui construire un petit cabinet dans ce grenier, ce qui lui faisait dire qu’il avait commencé sa fortune par descendre au grenier ; et il ajoutait dans sa vieillesse qu’il n’accepterait pas une nouvelle vie, s’il fallait la commencer encore par une jeunesse aussi pénible. La simplicité de sa physionomie et de son caractère faisait dire à son père, en le comparant à ses autres enfants : « Pour Colin, ce sera un bon « garçon qui ne dira mal de personne. » Après ses premières études, il voulut s’appliquer à la jurisprudence ; il suivit le barreau, et même plaida une cause, dont il se tira fort mal. Comme il était près de la commencer, le procureur s’approcha de lui pour lui dire : “N’oubliez pas de demander que la partie soit interrogée sur faits et articles.“ “ Et pourquoi, lui répondit Boileau, la chose n’est-elle pas déjà faite ? Si tout n’est pas prêt, il ne faut donc pas me faire plaider. Le procureur fit un éclat de rire, et dit à ses confrères : voilà un jeune avocat qui ira loin ; il a de grandes dispositions. » Il n’eut pas l’ambition d’aller plus loin : il quitta le palais, et alla en Sorbonne ; mais il la quitta bientôt par le même dégoût. Il crut, comme dit M. de Boze dans son Éloge historique, y trouver encore la chicane sous un autre habit. Prenant le parti de dormir chez un greffier la grasse matinée, il se livra tout entier à son génie, qui l’emportait vers la poésie ; et lorsqu’on lui représenta que s’il s’attachait à la satire, il se ferait des ennemis qui auraient toujours les yeux sur lui, et ne chercheraient qu’à le décrier : Eh bien ! répondit-il, je serai honnête homme, et je ne les craindrai point. Il prit d’abord Juvénal pour son modèle, persuadé que notre langue était plus propre à imiter la force de ce style que l’élégante simplicité du style d’Horace. Il changea bientôt de sentiment.

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