plan visant à justifier un accord nuancé avec la thèse prônée par l’auteur
est, à l’image du
plan antithétique, un plan dont la structure est fondamentalement binaire : les arguments pour et contre
la thèse se répartissent en deux séries bien distinctes sur le plan textuel. Par contre, à la différence du plan
antithétique, ce type de plan ne progresse pas selon une dynamique de concession–réfutation. La
première partie consiste plutôt à valider la thèse prônée dans l’énoncé en dégageant les raisons qui
rendent celle-ci acceptable. La deuxième partie est ensuite l’occasion d’apporter un certain nombre de
réserves à cette thèse dont l’acceptabilité reste considérée comme établie.
Ce type de plan s’applique particulièrement bien à toute une gamme d’énoncés régulièrement soumis
aux élèves dans les pratiques d’enseignement de la dissertation. Ces énoncés possèdent trois
caractéristiques : (a) d’abord, ils contiennent une
affirmation dont
la portée est très générale
; (b) ensuite,
cette affirmation consiste la plupart du temps à
attribuer une propriété à un objet
pour définir ou qualifier
celui-ci
; (c) enfin, cette attribution de propriété est jugée
relativement consensuelle
(il ne s’agit pas d’un
énoncé paradoxal, qui s’attaque à l’opinion commune). Ces énoncés permettent souvent à l’élève de
valider un point de vue qui fait appel au consensus, tout en venant nuancer une vision particulièrement
tranchée de l’objet en question.
En revanche, ce type de plan convient peu aux énoncés paradoxaux.
Rappelons qu’un paradoxe est, au
sens étymologique, une idée à première vue surprenante, voire choquante, car elle va délibérément
contre l’opinion commune. Le plan visant à l’expression d’un accord nuancé n’est pas facile à appliquer
pour ce genre d’énoncés. Il faudrait alors, dans la première partie, commencer par exposer des raisons
favorables à un jugement qui, pour le lecteur, est probablement contre-intuitif. Puis, dans la deuxième
partie, il faudrait émettre des « réserves » face à ce jugement qui – vu qu’il s’oppose à l’opinion dominante
– a toutes les chances d’avoir déjà soulevé des contre-arguments forts dans l’esprit du lecteur. Ces énoncés
paradoxaux sont plus aisés à traiter dans le cadre d’un plan qui permet à l’élève d’exposer
d’abord
les
raisons de rejeter la thèse (plan antithétique ou plan à controverse constante).
Chapitre 6. Elaborer le plan de la dissertation
Apports théoriques
123
2.4. Le plan dialectique
Ce que l’on a coutume d’appeler le plan « dialectique » est notoirement plus difficile d’accès pour les
élèves que les autres types de plan envisagés jusqu’ici. Ce plan est souvent résumé par la fameuse triade
« thèse-antithèse-synthèse ». A la différence du plan antithétique ou du plan visant à l’expression d’un
accord nuancé, il s’agit d’un plan en trois parties. Comme le résume Lemeunier (2008 : 47-48), la première
partie « tend à valider le jugement soumis à réflexion » (c’est l’étape « thèse »), puis la deuxième partie
« nuance ce jugement en en montrant les limites » (c’est l’étape « antithèse »), enfin la troisième partie va
« dépasser la confrontation entre ces deux parties » (c’est l’étape « synthèse »). La définition des deux
premières parties paraît relativement aisée, mais il n’en va pas de même pour la dernière partie consacrée à
la « synthèse ». Si l’on consulte les manuels consacrés à la dissertation, la fonction exacte de cette étape
finale du développement ne se laisse pas facilement saisir. Les auteurs s’accordent certes sur l’idée que la
synthèse doit être un « dépassement » de la contradiction mise en scène dans les deux premières parties.
Toutefois, le sens qu’il convient d’octroyer à ce processus – « dépassement » – n’est de loin pas univoque.
Parfois, « dépasser la contradiction » signifie que l’on parvienne à montrer que la thèse et l’antithèse ne
sont, en dépit des apparences, pas totalement contradictoires et qu’elles peuvent dans une certaine mesure
être conciliées : ainsi, Dupuis, Grossen & Rychner envisagent le cas où la synthèse est « l’établissement
d’une vérité médiane » (séquence n°3, p. 84) et Lemeunier parle de « réconcilier les deux jugements » en
apparence opposés (2008 : 51). Mais il arrive aussi que le « dépassement » reçoive un sens bien plus fort : la
synthèse est alors comprise comme la formulation d’un « nouveau point de vue » par l’élève, qui va ainsi
argumenter « en faveur d’une thèse C nouvelle, supérieure, dépassant les contradictions des thèses A et B »
(Dupuis, Grossen & Rychner, séquence n°3, pp. 28-29). Thyrion va dans le même sens, en évoquant la
« production d’une idée nouvelle par rapport aux thèses en opposition » (2006 : 71).
Dans la définition du plan dialectique que nous proposons ici, le premier sens de ce « dépassement » est
clairement écarté : il nous paraît peu utile, voire contre-productif de définir la partie « synthèse » comme le
lieu où l’élève chercherait à « réconcilier » la thèse prônée et la thèse rejetée, à montrer qu’elles ne sont pas
incompatibles ou encore qu’elles contiennent chacune une « part de vérité ». Cette recherche d’une « vérité
médiane » ou d’un point de vue « nuancé » sur un problème complexe est certes tout à fait louable et même
encouragée dans le genre argumentatif particulier qu’est la dissertation. Toutefois, le problème est qu’elle
n’apporte aucune plus-value par rapport à la conclusion générale qui est de toute façon attendue,
quel que
soit le type de plan choisi
. En effet, qu’il s’agisse d’un plan antithétique, d’un plan à controverse constante
ou encore d’un plan visant à l’expression d’un accord nuancé, la conclusion fera ressortir le fait que
chacune
des deux thèses en opposition comporte sa part d’acceptabilité
(quand bien même l’une est préférée à
l’autre). Typiquement, en vertu de l’exigence de décentrement propre au genre, l’élève y résume les raisons
qui rendent ces deux thèses
acceptables dans une certaine mesure
– mesure qui est déterminée par
l’objectif argumentatif poursuivi (accord ou désaccord prononcé, accord nuancé, etc.). Une telle conclusion
ne constitue pas une « synthèse » au sens où on peut l’attendre dans un raisonnement dialectique. Pour que
le jeu en vaille la chandelle, pour que le plan dialectique réponde à une véritable nécessité et qu’une
troisième partie soit requise au sein du développement, la « synthèse » gagne à être définie au sens fort :
Chapitre 6. Elaborer le plan de la dissertation
Apports théoriques
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