Andreï Kozovoï
66
4 novembre 2011 - Revue internationales n° 147 - Revue internationales - 155 x 240 - page 66 / 120
4 novembre 2011 - Revue internationales n° 147 - Revue internationales - 155 x 240 - page 67 / 120
Autriche et à Berlin-Ouest, mais la version pour la télévision, d’une durée
de cent vingt minutes (de dix-sept minutes plus courte que l’originale) est
refusée. De même pour
Devant le tribunal de l’histoire . Les studios de télévi-
sion mettent en avant une législation draconienne qui interdit de diffuser
tout ce qui pourrait ressembler à de la publicité déguisée pour le nazisme.
Sergio Gambarov, dirigeant de la firme Pegasusfilm, est convaincu que la
vraie raison est « la ligne antisoviétique de Bonn »
33
.
Pour les longs métrages, la déception est également au rendez-vous. Le
14 mai 1970, à l’occasion des vingt-cinq ans de la Victoire, les Soviétiques
organisent la première de
Libération à Paris, au théâtre Marigny, une salle
de 1 200 places
34
. Mais la première ne se passe pas aussi bien que prévu :
apparemment, la raison principale serait que le propriétaire de la salle a
mal
fait son travail de promoteur, tout comme les responsables soviétiques
d’ailleurs
35
. À en juger par la couverture donnée par
Le Monde, ceci n’est
guère étonnant. Un article du 14 mai du quotidien affirme que
Libération,
dont la première se déroule alors à Moscou, « donne
une image rassu-
rante de Staline ». Et de citer un spectateur soviétique de la première à
Moscou qui parle de « glorification » (le Guide est montré à pas moins de
six reprises, un précédent pour le grand écran). Hasard du calendrier qui
n’aide pas le film, au même moment a lieu la parution du « testament »
d’Eugène Varga (des notes rédigées avant sa mort en 1964), dans lequel
l’économiste
soviétique dénonce l’absence en urss « d’un esprit démo-
cratique vivant, de la liberté d’opinion et de parole, le caractère officiel
et dogmatique de l’idéologie ». À croiser les deux articles figurant sur la
même page du quotidien, le spectateur français n’est pas vraiment tenté
d’aller voir le film
36
. Et
Le Monde ne parle pas de la première parisienne
dans les jours qui suivent, n’en déplaise au rapport du Goskino qui affirme,
lui, que « tous les grands périodiques ont acclamé la qualité du film »
37
.
Échaudé par le précédent de Paris, le président de Goskino, Romanov,
annule le projet de location de salle pour présenter le film dans le cadre du
XXIII
e
festival de Cannes, en mai 1970. Il faut dire aussi que la tendance
du moment n’est pas vraiment à la glorification de la guerre, comme en
témoigne la présence à Cannes de
mash
de Robert Altman, qui obtient
cette année-là la Palme d’or
38
. Une tendance au pacifisme dans le cinéma
américain confirmée l’année suivante avec le Grand Prix spécial du jury
remis à
Quand Johnny s’en va-t’en guerre de Dalton Trumbo. Et finalement,
sans doute pour les mêmes raisons que celles qui ont suscité le courroux
des vétérans devant
Grande Guerre patriotique, la direction du VIII
e
festival
international de New York refuse de programmer le film en septembre
39
.
33. 5/59/64/50-52. Information d’Abrasimov, 10 février 1967 (p. 315).
34. 5/62/91/54-55. Note du Goskino (Romanov), 9 avril 1970 (p. 793).
35. 5/62/91/125-129. Note du kgb (Andropov), 16 septembre 1970 (p. 840).
36.
Le Monde, 14 mai 1970, p. 7.
37. 5/62/91/76-79. Lettre du Goskino (Baskakov), 29 mai 1970 (p. 795).
38. 5/62/91/54-55. Note du Goskino (Romanov), 9 avril 1970 (p. 793-794).
39. 5/63/154/41-51. Note du Goskino (Romanov), 5 avril 1971 (p. 930).
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 14/04/2023 sur www.cairn.info (IP: 95.214.211.104)
4 novembre 2011 - Revue internationales n° 147 - Revue internationales - 155 x 240 - page 66 / 120
Défier Hollywood : la diplomatie culturelle et le cinéma à l’ère Brejnev
67
4 novembre 2011 - Revue internationales n° 147 - Revue internationales - 155 x 240 - page 67 / 120
L’urss rencontre également un succès mitigé dans sa stratégie de pres-
sions et de chantages. Ainsi,
apprenant que le XIX
e
festival de Cannes
prévoit de projeter le premier jour, le 5 mai 1966,
Le Docteur Jivago (1965,
David Lean),
le film
aux cinq Oscars adapté de l’œuvre éponyme de
Boris Pasternak, interdite en urss, les Soviétiques font savoir qu’ils ne par-
ticiperont pas au festival. Résultat :
Le Docteur Jivago est finalement projeté
hors compétition un autre jour
40
. Mais Cannes tient sa revanche l’année
suivante, lorsque le film de Robert Hossein
J’ai tué Raspoutine, qui a tout
pour déplaire aux Soviétiques, est projeté à l’ouverture, le 27 avril 1967,
tandis que
Guerre et paix est montré hors compétition le 4 mai
41
.
Au vu de ces résultats plus que ternes pour
la diplomatie culturelle
soviétique, on serait tenté de répondre par la négative à la question posée
dans l’introduction. Pourtant, les choses sont bien plus complexes, comme
le montre le cas des coproductions.
DU DÉFI À LA COLLABORATION
Les coproductions apparaissent avec le développement de l’industrie
cinématographique soviétique, bien avant la guerre. Mais le boom des
coproductions a lieu avec le développement d’une véritable diplomatie
culturelle au cinéma. Depuis 1950, on en compte plus de 40, surtout au
cours de notre période
42
. On collabore naturellement avec des pays avec
lesquels on a de bonnes relations : sous Khrouchtchev, avec les Français ;
sous Brejnev, avec les Italiens ; avec la détente, ce seront les Américains au
début des années 1970
43
. En 1968, pour gérer un domaine en expansion,
est créé Sovinfilm, institution spécialement chargée de l’épineuse question
des droits d’auteurs.
L’intérêt des coproductions est évident pour l’urss. Elles contribuent à
améliorer l’image du régime sur la scène internationale et font de Moscou
un partenaire fiable dans le domaine des contacts commerciaux. La pré-
sence de stars internationales dans ces films joue un effet psychologique
de tout premier plan, en conférant à l’urss une aura de « glamour » indé-
niable. Elles sont aussi très intéressantes du point de vue financier, l’urss
jouant le rôle de prestataire de services en faisant payer le prix fort à ses
Dostları ilə paylaş: