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Défier Hollywood : la diplomatie culturelle et le cinéma à l’ère Brejnev
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4 novembre 2011 - Revue internationales n° 147 - Revue internationales - 155 x 240 - page 69 / 120
matérielle et spirituelle des acteurs de l’industrie cinématographique
s’accorde mal avec les objectifs de la diplomatie culturelle. Ainsi, elle
n’incite certainement pas à « riposter » à des longs métrages comme
L’Aveu
49
. D’autre part, certains films posent problème et demandent une
réaction rapide : présenté par son auteur comme un film pacifiste
50
, Les
Fleurs du soleil devient sous la plume du patron du kgb « un film des plus
nuisibles qui soit
51
». En cause, une scène se déroulant en urss, dans un
cimetière de prisonniers de guerre italiens, qui accréditerait l’idée selon
laquelle beaucoup d’entre eux sont morts de mauvais traitements, tandis
que d’autres continuent de vivre en urss. Une scène qui pousse une orga-
nisation d’extrême-droite italienne, la moci, à menacer d’assassiner des
diplomates soviétiques si Moscou ne laisse pas les prisonniers encore vivants
à rentrer en Italie. L’ambassadeur soviétique à Rome, Nikolaï Ryjov, tire
la sonnette d’alarme et alerte le kgb
52
.
La campagne contre le « laisser-aller » dans les coproductions se ter-
mine de manière classique, par un mea culpa de Goskino et de l’indus-
trie cinématographique soviétique dans son entier. « L’histoire des Fleurs
du soleil prouve qu’il ne faut plus tolérer de compromis avec les cinéma-
tographes étrangers, ne plus accepter d’être menés à la bride », conclut
Otar Teneïchvili, directeur de Sovinfilm
53
. En septembre 1970, le projet
de coproduction intitulé Dans la ville de Togliatti finit par être refusé
54
, entre
autres exemples. Pour sauver sa peau, le directeur de Goskino promulgue
l’ordre « Sur la transparence des coproductions et des services aux firmes
étrangères
55
».
Pour autant, la campagne ne semble pas avoir eu de conséquences sur
la diplomatie culturelle. Structurellement, elle participe d’un débat ancien,
remontant aux années 1920, lorsque les élites dénonçaient dans le cinéma
étranger un « art corrupteur » : un débat qui n’est pas près de se terminer
56
.
Ainsi, alors que la réforme de Kossyguine est mise sous le boisseau au
début des années 1970, l’objectif de rentabilité, demeure lui, sous-jacent
des années plus tard. Si L’Oiseau bleu (1976, George Cukor), s’avère déce-
vant pour les Américains comme pour les Soviétiques
57
, la coproduction
soviéto-japonaise Dersou Ouzala (1975, Akira Kurosawa) obtient l’Oscar
49. Ibid., p. 840. Cite V. Sytine, cadre du Goskino.
50. 5/62/91/40-48. Lettre de Mdivani, 20 mars 1970 (p. 779).
51. 5/62/91/103-105. Note de la 5
e
direction kgb (Filipp Bobkov), 26 août 1970 (p. 823).
5/62/91/125-129. Note du kgb (Andropov), 16 septembre 1970 (p. 841). Cite Teneïchvili.
52. 5/62/91/40-48. Lettre de Mdivani, 20 mars 1970 (p. 779-781).
53. 5/62/91/125-129. Note du kgb (Andropov), 16 septembre 1970 (p. 841).
54. 5/62/91/97-98. Note du secteur cinéma du département Culture du Comité central
(Ermach), 29 septembre 1970 (p. 821).
55. Note du département Culture du Comité central (Chaouro), 20 septembre 1970 (p. 842-843).
56. Pour les années 1920, voir Denise Youngblood, op . cit ., p. 35-37. Pour les années 1975-1985,
voir Kozovoï, Par-delà le Mur, op . cit ., p. 156-157.
57. Voir l’article de Tony Shaw à paraître dans Journal of Cold War Studies: « Nightmare on Nevsky
Prospekt: the Blue Bird and the Curious Episode of Soviet-American Film Collaboration During the
Cold War » (au 1
er
juin 2011).
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