particulièrement du rôle joué par les présupposés. En effet, c’est dans
cette strate des présupposés que
vient essentiellement s’ancrer le
problème autour duquel deux locuteurs (réels ou virtuels) s’achoppent,
c’est dans ce qui, pour chacun d’eux, relève du
déjà-acquis que la divergence d’opinions trouve avant tout
son origine.
Ceci se comprend si l’on s’arrête un instant sur un des actes argumentatifs centraux de tout débat d’idées : la
concession . Celle-ci mobilise en effet une série d’implicites pour chaque argument que l’on concède, c’est-à-dire
que l’on convoque tout en signalant leur caractère non valide pour l’objet du débat : d’une part des conclusions
attendues (entre autres la thèse affirmée par le camp adverse), de l’autre des normes et des valeurs qui sous-
tendent et justifient les liens argumentatifs. Or cette strate, la concession la valide en très grande partie (on
concède en effet l’argument
et ses implicites) ; seul le saut vers la conclusion se voit en réalité rejeté, contesté,
concurrencé par les arguments qui suivent (ou qui précèdent) et qui favorisent une conclusion opposée. Dans le
dialogue, les
implicites autrement dit délimitent une zone aux contours flottants, où les partenaires de l’échange
tout à la fois s’accordent autour d’un non-dit et se « désaccordent » ; c’est en cela qu’ils constituent le lieu
d’émergence d’un problème.
Les
présupposés impliqués par un énoncé doivent ainsi être compris comme les
traces de visions du
monde et de l’homme, d’univers de
croyances , de
normes et de
valeurs qui, dans le dialogue, sont
amenées à s’entrechoquer. Parfois, certaines normes ne sont absolument pas reconnues par l’un des
interlocuteurs, ce qui conduit à une pure
polémique , où les positions sont strictement irréconciliables. Mais,
le plus souvent, les normes en jeu sont
prises en compte de part et d’autre – ce que le mécanisme de la
concession a entre autres pour tâche de signifier
47
; c’est en revanche
la situation particulière évoquée dans le dialogue qui conduit à
défendre des manières différentes de hiérarchiser ces normes (selon
cette situation,
et non pas de manière absolue). Dès lors, en faisant émerger les présupposés d’un énoncé, on se donne les
moyens de circonscrire très précisément le lieu à partir duquel les positions en débat se disjoignent, c’est-à-
dire les normes et croyances qui entrent en conflit
48
.
47
Pour cette raison, dans l’analyse des implicites, on sera aussi particulièrement attentif aux connecteurs qui élaborent des
mouvements concessifs (
mais ,
pourtant ,
bien que ,
même si , etc.) ; dès lors qu’un énoncé se compose de plusieurs propositions
articulées par des connecteurs de ce type, il est important de rétablir ce qui est implicité, car c’est là qu’on pourra préciser où se
situe le désaccord, afin de formuler un problème.
48
Si certains énoncés de dissertation font apparaître le contre-discours contesté (cf. ci-dessus, note 39), d’autres permettent
d’entrevoir peut-être plus facilement le lien entre implicite et point de désaccord, émergence d’un problème. Ce sont les énoncés
qui s’articulent, précisément, autour d’une concession (avec comme pivot le connecteur « mais », par exemple) ; ils peuvent dès
lors servir à des exercices ciblés sur la mise au jour d’implicites et la formulation d’un problème.
Chapitre 5. Construire un problème
Apports théoriques
75
Parmi les différentes catégories de présupposés, trois nous paraissent pertinentes à souligner dans le
cadre de l’élaboration d’une dissertation. Nous les répertorions ci-dessous en fonction des supports
linguistiques qui les signifient respectivement, et en fonction de ce qui peut être plus ou moins aisé à
appréhender du côté des élèves – si l’on a fait le choix de les mener jusqu’à ce niveau d’analyse.