III. 2. Les emprunts Aux éléments de base du fonds primitif sont venus s’ajouter, au cours des siècles, des apports d’origine variée. Il s’agit des mots empruntés aux autres langues. Les unités lexicales provenant d'autres langues que le français sont appelées des emprunts.(28) L’emprunt est souvent le temoin des contacts qu’entretient ou a entretenu un peuple avec un autre. Les invasions, les guerres, les échanges commerciaux et culturels, l’influence économique – tous ces phénomènes conditionnent fortement l’apparition des emprunts (7). Aussi les emprunts présentent-ils un intérêt non seulement pour le linguiste, mais de même pour l’historien.
A. Deroy marque que l’énonciateur emprunte un mot étranger parce qu’il a le sentiment qu’aucun mot de sa propre langue ne peut pas désigner le référent dont il veut parler.(25) Par exemple, la traduction de tchador par voile masquerait la particularité de la chose, ne révèlerait le coloris national qui est liée à la branche chiite de l’islam.(28)
Les formes de l’emprunt sont différentes. Un élément lexical change au moment de transit d’une langue à l’autre et recouvre un champ sémantique auquel il ne renvoyait pas à l'origine. Le support de la situation contextuelle est perdu. Le terme emprunté agit sur lui-même, en exploitant le nouveau système lexical dans lequel il est intégré (25). Les emplois nouveaux du mot emprunté ne correspondent pas exactement au modèle de la langue-origine. Dans ce cas on parle de l’emprunt de sens (28): le mot italien academia emprunté au XVIe siècle dans un sens spécialisé academia del arte reçoit en français un sens plus développé et signifie établissement scientifique de toutes sortes. Une autre forme de l’emprunt sont les calques – un emprunt traduit littéralement à partir d'une autre langue. Le calque se distingue de l’emprunt de sens par le fait qu’il produit un mot nouveau (28): souris (mouse), fenêtre (window) (en informatique), gratte-ciel (skyscraper), baladeur (walkman). Comparé au calque et à l’emprunt de sens, qui sont des emprunts partiels, l’emprunt du mot est un emprunt total. A. Deroy propose la classification des emprunts totals en « xénismes », mots sentis comme étrangers, et les emprunts totalement naturalisés (25). Mais il serait irréalisable de tracer une limite précise entre les deux catégories. Le xénisme est un mot étranger utilisé pour désigner une réalité étrangère (un goulag).(28) Les xénismes sont présents dans le français depuis l’intégration des latinismes: alter ego, crescendo, de facto, etc., jusqu’aux plus récents anglo-américanismes: sherif, all right, darling, hot-dog, etc. Les emprunts naturalisés ont changé de forme totalement ou partiellement et se sont intégrés dans la langue-cible: roastbeef – rosbif, beefsteak - bifteck.
La prononciation des mots empruntés dans la langue-cible se conforme à son système phonologique, balcone est devenu balcon, riding coat est devenu redingote. Ensuite ils s’intègrent dans la morphosyntaxe française: les noms prennent un déterminant, qui fixe leur genre, les verbes se conjuguent comme les verbes en -er, to jog est devenu jogger. Une fois intégrés les emprunts peuvent servir de base de dérivation: budgétiser, débudgétiser, budgétisation. Les procédés d’assimilation sont fort différents. On peut marquer tels procédés que l’assimilation suffixale: scanner (angl.) – scanneur (fr.), l’apparition de la voyelle proléptique: scorta (ital.) – escorte (fr.), la simplification orthographique: cigarro (esp.) – cigare (fr.), l’accentuation: bravo (ital.) – bravo (fr.), etc. L’emprunt peut être direct s’il se fait directement d’une langue et indirect s’il s’effectue par l’intermédiaire d’une autre langue. (7) Les mots exotiques du vocabulaire français sont fréquemment des emprunts indirects. Ainsi, pirogue est un emprunt fait à la langue des Caraïbes par l’intermédiaire de l’espagnol; bambou a été pris au portugais qui à son tour l’a emprunté au malais. Les mots bravo, aquarelle sont empruntés directement de l’italien.
Il existe parfois deux mots français remontant à la même origine latine, l’un de formation populaire, l’autre de formation savante ou l’un est emprunté directement du latin et l’autre par l’intermédiaire d’une autre langue. Dans ce cas on parle des doublets étymologiques: hospitalem a donné hôtel et hôpital, respectum a donné répit et respect; duos a donné deux et duo (ital.). (3)
Bien des mots français ont été empruntés aux langues classiques et notamment au latin depuis les débuts de la langue écrite jusqu’au XVIe siècle par les savants et les lettrés; les emprunts latins permettaient la constitution d’un vocabulaire abstrait rendu nécessaire par l’évolution de la civilisation et des techniques. Les mots empruntés étaient tout simplement reproduits sans trop changer de forme: fragilis-fragile, epigramma-épigramme. Les mots ainsi formés sont dits de formation savante et restent très proches de la forme d’origine.
Dès le XVIe siècle et plus massivement au XVIIe et au XVIIIe, on a formé des mots nouveaux en utilisant des éléments toujours empruntés directement au latin mais surtout parallèlement au grec pour faire face au besoin de nommer les inventions et les concepts nouveaux dans le domaine de la médecine, de la philosophie, des sciences humaines: psychiatre, kinésithérapie, téléphone. Les emprunts aux autres langues, témoignage de relations de la France avec d’autres peuples, sont multiples. D’après H. Walter ils représentent un peu moins de 13 % du vocabulaire français (18). Sur 4200 mots d’origine étrangère, les plus grandes investigations ont fourni:
le néerlandais, 153 mots: matelot, maquereau, layette, ruban, dégringoler, gaufre...
Dans le vocabulaire de toute langue on trouve un certain nombre des internationalismes – mots qui sont communs à plusieurs langues, ayant presque la même transcription et prononciation proche. Ils facilitent les relations réciproques entre différents peuples. Ils viennent dans une langue par les emprunts ou par les calques: démocratie, parlement, comité, etc. L’emprunt aux autres langues est un processus naturel et régulier. La langue conserve ceux des mots d’emprunt qui lui sont utiles, qui n’ont pas d’équivalents indigènes suffisamment précis et expressifs. L’utilisation dans une mesure raisonnable des mots d’emprunt sans encombrer et affaiblir la langue contribue à son enrichissement et à sa consolidation.(7)
QUESTIONNAIRE
1. Quels éléments constituent le fonds primitif de la langue française ? 2. Quelles notions expriment les mots celtiques ? les mots du latin populaire ? du germanique ? 3. Qu’est-ce que c’est que l’emprunt ? Nommez les causes de l’apparition des emprunts dans le français ? 4. Quels types d’emprunts connaissez-vous ? 5. Expliquez les causes de l’apparition des doublets ? 6. Quelles sont les voies de pénétration des emprunts dans la langue ? 7. Parlez des internationalismes. 8. Quand et en quel domaine une langue étrangère est plus souvent présente dans le français ? 9. Quelles époques sont les plus riches en emprunts ?