difficulté particulière dans sa
mise en œuvre : s’il est mal maîtrisé sur le plan énonciatif lors de la rédaction, il peut donner au lecteur
une impression de contradiction argumentative . On rappellera ici la
distinction , fondamentale en
sciences du langage,
entre le locuteur et l’énonciateur 69
. Le locuteur est celui qui produit
matériellement un énoncé (oral ou écrit), tandis que l’énonciateur est celui qui prend en charge le contenu
de cet énoncé, le point de vue sur le monde qui s’y exprime. Dans la communication ordinaire, on assimile
par défaut le locuteur et l’énonciateur – par exemple, lorsque qu’un touriste s’exclame « Cette ville est
magnifique ! » sans qu’un élément du contexte n’invite à une lecture ironique du propos. Mais on sait que
les cas de disjonction entre le locuteur et l’énonciateur sont très fréquents : le locuteur peut fort bien faire
exister dans son énoncé un point de vue qu’il ne prend pas lui-même en charge – dont il n’est pas, en
termes techniques, l’énonciateur. Dans un plan antithétique,
le risque est que l’élève, en tant que locuteur, ne marque pas assez clairement le degré auquel il prend en charge les arguments présentés successivement dans les deux parties . On a vu que la première partie du plan est une
concession faite à un point de vue que l’élève n’endosse pas lui-même. L’élève doit ainsi prendre une
certaine distance vis-à-vis de ces arguments qui, pour lui, ne sont pas décisifs : selon la terminologie du
linguiste Alain Rabatel
70
, il doit les
prendre en compte sans pour autant les
prendre totalement en charge. Cela signifie qu’il reconnaît l’existence et la validité de ces arguments, mais qu’il impute ceux-ci à un autre
énonciateur, à un point de vue sur le monde qui n’est pas le sien. En revanche, la deuxième partie du plan
est celle où apparaissent les arguments que l’élève juge les plus forts : ils sont supposés fonder un point de
vue opposé à celui de la première partie et auquel l’élève adhère cette fois pleinement. Il est alors important
que l’élève fasse clairement ressortir qu’il prend totalement en charge les arguments en question. Si le
degré de prise en charge n’est pas modulé au fil de la dissertation, l’élève peut donner l’impression qu’il se
contredit purement et simplement.
69
Cette distinction est notamment proposée par le linguiste Oswald Ducrot dans
Le Dire et le dit (1984).
70
« Prise en charge et imputation, ou la prise en charge à responsabilité limitée... »,
Langue française , 2009 (voir les références
bibliographiques).
Chapitre 6. Elaborer le plan de la dissertation
Apports théoriques
112
L’ ESSENTIEL EN BREF