s’applique particulièrement bien à toute une gamme d’énoncés régulièrement soumis aux élèves dans les pratiques d’enseignement de la dissertation . Ces énoncés possèdent trois caractéristiques : (a) d’abord, ils contiennent une
affirmation dont la portée est très générale et ne comporte pas (ou très peu) de restriction ; (b) ensuite, cette affirmation
consiste la plupart du temps à
attribuer une propriété à un objet pour définir ou qualifier celui-ci
; (c) enfin,
cette attribution de propriété est jugée
relativement consensuelle (il ne s’agit pas d’un énoncé paradoxal,
qui s’attaque à l’opinion commune). Prenons trois exemples de ce genre d’énoncés
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:
(1) Notre société [...] repose sur le spécisme,
postulat selon lequel nous [les humains] pourrions user et abuser
des animaux comme bon nous semble. (Corine Pelluchon)
(2) Si vous voulez rendre l'homme capable de liberté, [faites] qu'il soit instruit. (Alphonse de Lamartine)
(3) Vivre libre, c’est souvent vivre seul. (Renaud)
Voilà typiquement trois affirmations
catégoriques (seul Renaud, en (3), restreint la portée par l’adverbe
« souvent »). Ces affirmations prennent un
objet complexe – « notre société actuelle » en (1), la liberté en (2)
et (3) – et lui associent une
propriété jugée essentielle, voire définitoire : le « spécisme » en (1), l’instruction
en (2), la solitude en (3). Tous ces énoncés peuvent prétendre à un certain degré de
consensus. Dans l’état
actuel des connaissances et du débat public, il serait difficile de nier le caractère massif et industrialisé de
l’utilisation des animaux (par exemple dans le domaine alimentaire), ainsi que les maltraitances qui
s’ensuivent parfois. De même, on peut rapidement s’accorder sur le fait qu’une recherche authentique de
liberté exige un certain degré de connaissance chez l’individu (Lamartine) et s’accompagne d’un certain
degré de solitude (Renaud) : comment espérer agir selon sa propre détermination si l’on ne sait rien et si
l’on est constamment entouré de personnes qui risquent de nous poser des contraintes ? Mais dans le
même temps, ces affirmations paraissent si tranchées qu’elles appellent immédiatement des réserves. La
société n’est-elle pas précisément en train d’évoluer vers une prise de conscience des intérêts, voire des
droits des animaux ? Le fait d’être instruit est-il une condition suffisante pour être libre ? Ne peut-on pas
trouver, dans certains cas, des moyens de concilier notre volonté d’être libre et notre désir d’être en relation
avec autrui ? En somme, ces énoncés se prêtent bien au plan visant à l’expression d’un accord nuancé, car ils
font appel au consensus tout en proposant une vision particulièrement tranchée de la réalité évoquée.
On terminera en ajoutant que