En réalité, le plan dialectique s’impose lorsque l’élève entend se situer « en dehors de l’alternative » (Thyrion 2006 : 71)
qu’offrent la thèse prônée et la thèse rejetée : l’enjeu sera alors de déconstruire l’opposition apparente entre les deux thèses et de proposer un autre point
de vue qui ne se laisse pas réduire à P ou à non-P. Mais que signifie au juste « déconstruire l’opposition »
entre deux thèses ? Prenons l’exemple de l’énoncé de Paul Bowles déjà abordé (chapitre 4, section 2) :
« L'amour n'est pas l'émotion la plus fondamentale [de la vie], c'est la peur. » L’auteur soutient que dans la
gamme des émotions humaines, c’est à la peur et non à l’amour que revient la première place en termes
d’importance (thèse prônée). Il s’oppose ainsi à l’idée très répandue selon laquelle c’est à l’amour qu’il
conviendrait d’accorder cette première place (thèse rejetée).
Déconstruire l’opposition entre deux thèses, c’est bien souvent refuser un (ou plusieurs) présupposé(s) que ces thèses partagent en dépit de leur opposition apparente : en clair, c’est refuser une (ou plusieurs) idée(s) qui ne change(nt)
pas et qui se maintien(nen)t lors du passage de la thèse à l’antithèse
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. Dans l’exemple considéré ici,
l’énoncé présuppose qu’il existe bel et bien une (et une seule) émotion qui peut recevoir le titre d’émotion
« la plus fondamentale de la vie ». Par là même, il présuppose que les émotions humaines peuvent être
envisagées distinctement les unes des autres et se voir classées sur une échelle d’importance. Ces
présupposés circonscrivent ainsi un débat qui tournera, de façon générale, sur « l’émotion la plus
fondamentale » et, plus spécifiquement, sur la prééminence de l’amour ou de la peur. Mais si l’élève juge
critiquable le cadre même de ce débat, il cherchera à sortir de l’alternative entre la peur et l’amour et
renoncera
in fine à vouloir établir une hiérarchie entre ces deux émotions. Cela implique de refuser
explicitement les présupposés que charrie l’énoncé de Bowles : l’élève pourra, par exemple, expliquer que
les émotions humaines sont souvent interdépendantes, voire si étroitement imbriquées qu’il paraît vain de
vouloir les classer sur une échelle d’importance. Ce nouveau cadrage de la réflexion pourra aboutir à une
nouvelle thèse qui soutiendra, par exemple, que les deux émotions particulières évoquées par Bowles – la
peur et l’amour – tirent en réalité leur importance du fait qu’elles sont constamment entremêlées dans
l’expérience humaine. La troisième partie de la dissertation sera consacrée à la formulation de cette
nouvelle thèse, ainsi qu’à l’exposé des principaux arguments et exemples qui la justifient.
Sur la base de la caractérisation qui vient d’en être donnée, on perçoit sans doute mieux à quel point le
plan dialectique est