Chapitre 2. Quels énoncés soumettre aux élèves ?
Apports théoriques
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compréhension de l’épaisseur sémantique des mots, fait écran à la saisie du sens –, on peut mettre en place
des dispositifs propres à atténuer leur portée, afin de permettre aux élèves de mener à bien au moins une
partie de l’activité, ou de se lancer dans une rédaction malgré tout. La mise en commun et l’échange
d’observations au sein de la classe est ainsi une option à favoriser ; mais on peut aussi (à rebours de ce que
l’on a défendu ci-dessus...) choisir des énoncés syntaxiquement « complexes », qui opposent explicitement
deux points de vue (donc des propriétés sémantiques relatives à un mot-thème), l’un doxique et l’autre
paradoxal ; de cette façon, on peut guider les élèves dans l’interprétation de la composante paradoxale de
l’énoncé, et les inviter à réfléchir puisque, par cette opposition explicite, l’auteur affiche à quel point il est
conscient de prendre le contrepied de l’opinion commune (ce qui mène à conclure que son avis n’est peut-
être pas totalement « insensé »).
Parmi les énoncés paradoxaux, ceux qui offriront le plus de résistance interprétative aux élèves sont
probablement les assertions qui apparaissent comme absolument contradictoires en surface. C’est
typiquement le cas de l’affirmation de Flaubert citée auparavant : « Le superflu est le premier des besoins ».
Le paradoxe se fait contradiction dans la mesure où le point de vue du locuteur travaille tellement le sens du
mot-thème que, en réalité, il le transforme intégralement : pour considérer l’énoncé comme cohérent, il
faut en effet effacer du mot-thème la propriété sémantique /non nécessaire/ – pourtant au centre du sens de
« superflu » – et lui substituer la propriété inverse /nécessaire/, pour suivre l’instruction donnée par le nom
« besoin ». De tels énoncés peuvent ainsi poser des problèmes de compréhension aux élèves, car on peut
légitimement affirmer qu’ils n’ont « pas de sens », du moins a priori ; pour autant, ils peuvent aussi être
l’occasion d’attirer l’attention sur la question centrale des normes sociales, car l’inversion sémantique sur
laquelle reposent ces énoncés « contradictoires » demande en réalité d’interroger, par le débat d’idées, les
raisons qui conduisent à placer à tel ou à tel endroit une limite entre (par exemple) /nécessaire/ et /non
nécessaire/.
Il est également utile de proposer par moments aux élèves des énoncés non immédiatement
paradoxaux, qui au contraire paraissent déployer un point de vue plus ou moins doxique et stéréotypé :
« La merveille de l’amour, c’est d’être un événement toujours singulier. » (A. Gavillet)
« La jeunesse se signale davantage par l’ardeur de ses passions que par l’ouverture de son esprit. » (M. Tournier)
Ici, la résistance résidera alors dans l’effort à fournir pour voir le stéréotype, pour
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