Historique de la domestication et des méthodes d'élevage des lapins page
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Par contre, comme l'atteste une figurine gallo-romaine d'un enfant tenant
un lapin dans ses bras (figure 15), si le lapin n'était pas encore domestiqué à la
fin de l'empire romain, cet animal figurait déjà parmi les espèces apprivoisées,
ce qui est souvent la première étape de la domestication.
2.1.2. - Les garennes sources de revenus, mais aussi de conflits A la suite de la conquête de l'Espagne définitivement acquise seulement
au tout début de l'ère chrétienne (après la défaite des Carthaginois en 202 av
J.C. et la prise de possession de leurs terres en particulier en Espagne, Rome a
mis 200 ans à "pacifier" le pays), les Romains ont adopté la coutume des Ibères
consistant à consommer des "laurices", c'est à dire des lapereaux "tirés du
ventre de la mère" ou "enlevés à la mamelle". A la fin du 6ème siècle de notre
ère, l'évêque Grégoire de Tours (538-594) mentionne le lapin dans son histoire
des Francs, en reprochant aux moines de consommer des laurices en temps de Carême, ce mets étant autorisé
parce que "d'origine aquatique" (sic!). On peut penser avec Zeuner (1963) que le souhait d'obtenir facilement des
laurices aurait conduit les moines à imaginer de maintenir les lapines en cage pour accéder plus aisément aux
nouveau-nés sans avoir à sacrifier les mères. Effectivement l'élevage des lapins en claustration devient une quasi-
exclusivité des couvents à cette époque partagée seulement avec la noblesse. On trouve en effet des écrits
attestant d'échanges de couples de lapins entre couvents au milieu du 12ème siècle ou du don d'une garenne par
un seigneur à un couvent. Par exemple le Comte de Vougrin donna en 1140 un "défens" (une garenne) à l'abbaye
de Saint Cybard d'Angoulême "afin que les moines aient un défens de tous animaux, c'est-à-dire lièvres, lapins,
faisans, perdrix, en seigneurie et propriété". Les termes de ce legs montrent aussi qu'à cette époque on est
encore proche des leporaria romaines avec un mélange d'animaux de petite taille. De leur côté ces écrits
démontrent que le lapin faisait bien partie des petits gibiers classiquement consommés à l'époque, du moins par la
classe dirigeante, et n'était pas consommé seulement comme "laurices".
Un siècle plus tard, les écrits ne mentionnent plus que les lapins comme animaux élevés dans les
garennes. Ces territoires sont utilisés pour la chasse mais surtout pour la production de lapins. Ainsi en 1245, les
agents du comte de Poitiers ont-il vendu "cent soixante couples" [paires] de lapins à Tonnay-Boutonne, pour treize
livres, deux cents au Bourdet, pour seize livres, cent soixante à Marans, pour quatorze livres". Il est également
précisé que les recettes provenant de ces garennes dépassent de beaucoup les frais de garde. En effet les
garennes de l'époque sont essentiellement des garennes ouvertes, dont les limites sont simplement matérialisées
par des bornes, mais les lapins y sont alimentés, au moins pendant une partie de l'hiver.
Figure 16 : Chasse aux lapins avec
filets tendus et chiens
Figure 17 : Chasse aux lapins avec
un furet (muselé) et des bourses -
remarquer la présence de lapins
blancs
Figure 18 : Chasse aux lapins avec
un furet (muni d'un grelot) et des
bourses
Figure 19 : La Chasse au lapin avec
un arc, est pratiquée surtout comme
divertissement par les Dames la
noblesse.
D'après le "Livre de chasse"
de Gaston Phébus Comte de Foix (1389)
Tapisserie tissée à Tournai
(Flandres) vers 1460
Extrait des "Taymouth Hours"
réalisées à Londres vers 1330
La pullulation des lapins pendant la belle saison doit impérativement y être limitée par les personnes
chargées de la gestion de la garenne, sinon les lapins provoquent trop de dégâts aux cultures environnantes. Ces
captures de régulation sont effectuées avec des furets et des filets, car les animaux étant capturés vivants, il est
possible de relâcher les femelles et de ne laisser qu'un mâle pour 10 à 20 femelles. A l'inverse la chasse à l'arc,
pratiquée parfois par les dames de la noblesse, avait l'inconvénient de tuer les lapins sans distinction de sexe et
elle était en outre plus aléatoire. Pour réduire l'incidence des dégâts au voisinage, la limite de la garenne est
d'ailleurs généralement fixée (placement de bornes) à un jet de flèche des cultures les plus proches (150 à 200 m
environ). Par exemple, vers 1260, la garenne du comte de Poitiers à Saintes n'était pas bornée ; le sénéchal
interdit alors au prieur de Saint-Vivien de mettre en culture ses terres vagues qui étaient contiguës à cette garenne
avant que le châtelain de Saintes [le comte de Poitiers] ait fait placer des bornes. Cette précaution visait à limiter
par avance les conflits qui n'auraient pas manqué pas de naître des dégâts occasionnés par les lapins sortant de
la garenne.
Figure 15 : Buste gallo-romain en terre
cuite représentant un enfant portant un
lapin dans ses bras, découvert à Arpajon
sur Cère (Cantal - France) – date
probable 3
e
siècle de notre ère.