la dissertation n’obéit pas directement à une visée persuasive – visée que l’on associe parfois
hâtivement à
toutes les formes d’argumentation. Lorsqu’un genre argumentatif est clairement subordonné
à un objectif de persuasion, le locuteur se donne pour tâche de
provoquer (ou de renforcer) l’adhésion du destinataire à la thèse qu’il soutient . C’est là un objectif qui, il est vrai, caractérise plusieurs genres très
familiers, que ce soit dans la communication publique ou privée : un discours de campagne électorale, un
tract distribué dans la rue, un article d’opinion dans la presse ou sur internet, mais aussi un échange lors
duquel un adolescent tente d’obtenir auprès de ses parents le droit de se rendre à une soirée... Dans de
telles situations, l’argumentation est régie par un critère pragmatique d’
efficacité qui en détermine les
conditions de succès ou d’échec : on pourra légitimement considérer que la visée n’a pas été atteinte si
l’adhésion du destinataire n’a pas été provoquée ou, à tout le moins, renforcée. Or les choses sont bien
différentes quand on en vient à la dissertation. En effet, l’objectif premier d’une dissertation n’est pas
d’amener le destinataire à faire sienne la position développée par l’auteur. Prenons un bref exemple : un
élève disserte sur l’énoncé suivant de l’écrivain chilien Francisco Coloane (1910-2002), très critique sur le
progrès scientifique et technologique : « La technologie et la science moderne n'ont pas réussi à modérer la
conduite des habitants de la planète. » L’élève parvient à faire voir l’intérêt de la thèse de l’écrivain, mais
développe en fin de compte une position personnelle qui est défavorable à celle-ci. On s’accordera sur le fait
qu’une non-adhésion du destinataire à la position développée par l’élève ne signe en aucun cas l’« échec »
de la dissertation et ne signifie pas forcément que cette dernière a manqué son but. Le destinataire peut fort
bien n’être pas persuadé au point de changer d’avis, tout en reconnaissant l’excellence de la dissertation sur
le plan argumentatif. En réalité,